Trop de bons projets échouent pour des erreurs liées à un processus de montage non maîtrisé, à un désaccord entre les partenaires sur les objectifs, à une mauvaise appréciation des enjeux, ou encore à l’absence d’adhésion de la population locale, à un calendrier de réalisation irréaliste… Souvent, les écueils naissent aux étapes de démarrage du projet.
Réinventer le Patrimoine propose un modèle ad hoc qui pose le cadre et les fondamentaux de la démarche de conduite de projet.
Il vise à faciliter la création d’activités économiques — touristiques, culturelles ou sociales — au sein de bâtiments patrimoniaux, dans l’objectif d’en confier tout ou partie de la gestion à un opérateur privé. Ce guide n’apporte aucune solution toute faite, mais contribue à définir « l’état d’esprit » pour bien engager un projet. C’est un outil de sensibilisation destiné aux différentes parties prenantes d’un tel projet.
Mis à l’épreuve dans le cadre de l’expérimentation des 20 projets pilotes, ce guide permet, en amont et pendant toutes les phases de construction du projet, de fixer des garde-fous, de donner des axes d’arbitrages pour accompagner la prise de décision aux étapes clés.
Dans une démarche séquencée en 3 grandes phases :
– Questionner son projet
– Étudier sa faisabilité
– Sécuriser et réaliser
La priorité est donnée à la méthode et à l’ingénierie de projet pour aider les commanditaires à poser les fondations d’un projet viable et durable en adéquation avec son environnement territorial, social, économique… En mode agile, Réinventer le Patrimoine met l’accent sur les valeurs fondamentales de la conduite de projet.
S’inspirer du lieu, convoquer l’histoire, faire lien avec le passé pour se projeter dans l’avenir, s’appuyer sur ce qui fait sens et résonne avec les attentes de nos contemporains, constituent les balises qui définiront le cadre du projet.
Pour cela, une analyse fine du contexte culturel du territoire (offre touristique et d’animations, écosystème associatif, cartographie des acteurs en présence) doit être menée pour faire jouer à plein les synergies locales. C’est ainsi que pourra émerger le champ des possibles de ce que peut devenir le site patrimonial tout en conjuguant nouveaux usages et ancrage territorial.
Loin d’être fantasque, cette vision doit être partagée par l’ensemble des acteurs du territoire (habitants, élus, socioprofessionnels, associations, visiteurs et touristes, etc.), seule garantie de force, légitimité et évidence du futur projet pour être porté et attendu par tous. Connaître, partager, débattre, autour du lieu, impose de prendre le temps de réfléchir, un temps trop souvent négligé en amont de l’idée.
Le plus important dans un projet patrimonial est de l'ancrer dans une vision de départ qui perdure, comme un fil rouge. Pour être robuste, celle-ci doit reposer sur un triptyque : elle est directement issue de l'histoire et l'architecture du lieu, forcément spécifiques ; elle est incarnée par des personnes qui portent le contenu de cette vision ; elle est inscrite dans le territoire qui reconnait le bien-fondé de cette vision.
Dans le cas de la Chartreuse de Neuville, une rencontre immédiate se fait entre ce lieu qui exprime un message cohérent lors de ses usages successifs et le chef d'entreprise qui le découvre et souhaite en faire un laboratoire d'innovation sociétale. En revanche, il a fallu plus de 10 ans pour que ce projet soit pleinement compris par les acteurs locaux. Pour y parvenir, nous avons fait preuve d'ouverture en accueillant dans notre programmation des évènements locaux qui échappaient à la vision, mais aujourd'hui on passe au filtre tous les projets.
Avoir cette vision a permis de créer un projet unique et différenciant, et surtout, d'agréger des forces vives et des partenaires financiers qui partagent cet esprit des lieux. On a immédiatement ouvert au public même avec peu de moyens, pour faire comprendre, petit à petit, ce que nous voulions réaliser dans ce monument et qui prend maintenant de l'ampleur.
Un projet ne se construit pas seul au sein d’une collectivité. La gouvernance de projet permet d’identifier les rôles et les responsabilités de chaque partie prenante, affirme l’importance de “savoir s’entourer” pour mener un projet à bien efficacement.
Véritable chef d’orchestre, à la fois pilote, animateur, manager, le chef de projet doit incarner le projet, fédérer et représenter l’ensemble des acteurs qui y prennent part. Il doit ainsi se doter de compétences multiples : gestion de projet, programmation architecturale, conduite de travaux, compétences économiques et financières, communication, etc. Il est aussi leader des équipes et doit accompagner les prises de décisions en accord avec la vision.
La reconversion d’un site patrimonial et sa transformation en nouveau lieu de vie passe nécessairement par la réalisation de travaux d’aménagement plus ou moins lourds, temporaires ou durables. Le monument à reconvertir devra en effet pouvoir accueillir les nouveaux usages considérés, sans dégrader son enveloppe bâtie, mais en offrant aux usagers le confort et la fonctionnalité attendus. Il convient pour cela de vérifier très en amont la compatibilité des usages souhaités avec la configuration du bâtiment, et donc de disposer d’une connaissance technique, architecturale et patrimoniale du monument (diagnostics techniques, relevés géomètres, intérêt patrimonial du bâtiment, etc.). Cette connaissance technique permettra de déterminer les jauges d’accueil et les affectations possibles des différents espaces et permettra d’anticiper dès l’étape projet les éventuels aménagements, autorisations et dérogations à prévoir. Lors de ces étapes, l’œil de l’architecte du patrimoine, de l’architecte, des bureaux d’études techniques et des géomètres et toujours précieuse.
Notre école, depuis 130 ans, forme des architectes déjà en exercice à la conservation et la restauration du patrimoine bâti, de manière vraiment pluridisciplinaire. En plus de connaissances techniques pointues (structures et matériaux, techniques de consolidation, restauration, volet juridique...), nos étudiants sont mis en situation dans des lieux qui sont la plupart du temps des édifices vacants suite aux évolutions sociales (démilitarisation, désindustrialisation, baisse de la pratique religieuse ou du nombre de châtelains,...). Dans ces sites patrimoniaux, ils apprennent à travailler avec l’existant pour réveiller les potentiels dormants.
On a ainsi placé 8 « Chaillotins » dans des sites Réinventer le patrimoine, parfaitement représentatifs par leur taille, leur complexité et leur diversité (châteaux, patrimoine militaire, industriel et religieux). Leur intervention experte est un des outils de l’expérimentation, indispensable à mes yeux car l’architecte du patrimoine est la pierre angulaire entre le projet et le bâti. Il participe à l’évaluation patrimoniale, historique, paysagère et archéologique du site qui est un préalable à la définition du projet.
Je trouve par ailleurs particulièrement riche d’hybrider les compétences des Chaillotins avec celles des acteurs de l’urbanisme transitoire en charge de l’activation de certains lieux. Cela augmente encore l’esprit transdisciplinaire, qui seul peut faire émerger des projets de reconversion valides.
La réussite d’un projet repose sur l’alchimie entre ses différentes parties prenantes. Il faut rassembler les conditions de la confiance entre les acteurs engagés et avant tout comprendre les besoins et mode de fonctionnement de chacun.
La collectivité a pour objectif le développement économique, le renforcement de l’attractivité territoriale, l’amélioration du cadre de vie et la préservation de l’environnement, l’amélioration de son image et de sa notoriété. L’investisseur cherche la rentabilité et la valorisation de son patrimoine dans un contexte sécurisé. L’exploitant vise la marge bénéficiaire et la valorisation de son fonds de commerce.
La difficulté de ce partenariat est de rapprocher des méthodes de travail qui appartiennent à deux univers différents. Le succès du partenariat dépend de la capacité des acteurs à réduire leur « écart de vision » et à travailler de concert.
Menées de manière linéaire ou de concert, sont incompressibles. Il est alors essentiel de trouver un équilibre entre les temps longs de définition et d’études et l’urgence de donner vie au site, de le sortir de son abandon, de le rendre attractif…
L’expérimentation ouvre sur une première mise en œuvre du projet pour donner à voir et tester les futurs usages du site, pour permettre à tous de se projeter par une première action concrète. “Activer le lieu”, lui redonner une vie éphémère le temps d’un week-end ou d’une saison, peut s’avérer une étape bénéfique pour clarifier la vision et nourrir la définition du projet, dans une phase où il est encore possible de le faire évoluer.
Accepter le changement et être flexible est gage de réussite, bien plus que vouloir dérouler à tout prix l’idée de départ selon un plan rigide. Certaines étapes imposent d’avoir l’honnêteté d’appliquer la règle du Go /No Go. La Collectivité ne doit jamais continuer un projet pour la seule raison que les étapes déjà finalisées ont mobilisé beaucoup de ressources humaines et financières.
Les 10 étapes permettent d’arbitrer des choix sans jamais enfermer le projet. Chaque étape vient le valider, permet de l’affiner et de le réorienter ou apporte des signaux de vigilance pour décider de l’abandonner.
Même si le coût d’un abandon est élevé, surtout si le montage du projet est déjà avancé, ce coût est rarement du même niveau que les investissements pour un projet mal conçu, mal adapté qui irait à son terme et se traduirait par des déficits chroniques d’exploitation.